"Tout étranger qui arrive jusqu’à ces confins le fait pour échapper aux autres, à quelque chose ou à soi-même. Le passé n’existe pas sous ces latitudes".
Luis Sepulveda, Un nom de torero

Je me suis immergé dans un quotidien inconnu en Terre de Feu en Argentine. Je cherchais à vivre une expérience sans justification ni prétexte, dans laquelle un lieu pourrait m’aspirer sans événement particulier ni fait significatif. Une photographie du temps présent, de l’acceptation, ouverte à la poésie et à l’ordinaire quotidien visuel. Un entre deux où subsiste toujours une part de mystère.
Les images enferment le spectateur dans une expérience sourde et pesante d’un monde clos sur lui-même. Les paysages y sont signifiants et les personnages réduits à une présence qui participe au sentiment d’enfermement et de solitude. Elles sont teintées de la mélancolie des lieux et de la complexité des rapports humains, comme un écho au livre de Marc Augé "L’impossible voyage".

La terre de Feu fut le terrain d’investigation des colons du monde premier (expression Argentine). Elle symbolise la volonté d’implantation autoritaire du monde occidental dans une zone originellement hostile à celui-ci. Les aborigènes seront capturés et certains exposés dans des zoos humains à Paris. Pour les autres, leurs âmes seront évangélisées et leurs richesses pillées….
Ushuaïa, ville de pionniers fut construite de manière artificielle par l’Etat argentin en 1884. Durant la première moitié du xxème siècle, elle se devellopa autour d’une prison réservée aux crimminels dangereux dont l’activité était de couper du bois et de construire la ville. Dans le sillon, leurs familles débarqueront suivis par des émigrés croates, espagnols, libanais, italiens...
Ensuite le gouvernement argentin en fera un Eden économique en créant une zone franche. Venus faire fortune, des milliers de travailleurs viendront avec pour seul bagage une promesse d‘embauche.
Très vite la ville se trouve saturée et se développe tel un bidonville sur les pentes chargées de terre de la colline.
Tous ces ouvriers resteront prisonniers de l’île après le crash économique de l’année 2000.
Depuis le chômage a inversé le paysage local, l’histoire s’est arrêtée et l’on survit grâce au tourisme.

Un habitant de la ville m’a dit un soir :« Aujourd’hui, on ne vient pas ici par choix mais par obligation ».